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La Fille d’opéra

Ouverture À Paris, sous le règne du roi Louis XV, Mademoiselle Pouponne, fille aimable et tendre, prend l’air sur son balcon, au Palais-Royal, en compagnie du jeune chevalier de Mistouflet. Ils s’aiment et goûtent le plaisir de s’en instruire. Les dieux paraissent favoriser leurs heureux jours, mais qui peut se flatter de ne point trouver le serpent sous les roses, ni l’amertume au fond de la coupe de nectar ? Vénus et les Grâces sourient à ce couple fortuné… pourtant, Plutus* veille dans l’antre mercantile, toujours avide de ce vil métal qui dénature les attachements les plus respectables, et dont la conquête fait l’objet des convoitises de l’homme corrompu, afflige le moraliste et réduit au désespoir les âmes sensibles… * nom latin de Ploutos, le dieu grec de la richesse et de l’abondance (cf. la ploutocratie) 1. Duo (Pouponne, Mistouflet) POUPONNE : Le financier qui m’abandonne me permet enfin de t’aimer, et croyant affliger Pouponne, la livre à la félicité ! POUPONNE, MISTOUFLET : Et croyant affliger Pouponne, la livre à la félicité ! Profitons, profitons, profitons d’un heureux moment ! (BIS) MISTOUFLET : Trop longtemps la tristesse contrainte nous accabla sous son empire ! Bannissons à jamais la feinte, … Continuer à lire Continuer à lire

Ouverture

À Paris, sous le règne du roi Louis XV, Mademoiselle Pouponne, fille aimable et tendre, prend l’air sur son balcon, au Palais-Royal, en compagnie du jeune chevalier de Mistouflet.

Ils s’aiment et goûtent le plaisir de s’en instruire. Les dieux paraissent favoriser leurs heureux jours, mais qui peut se flatter de ne point trouver le serpent sous les roses, ni l’amertume au fond de la coupe de nectar ? Vénus et les Grâces sourient à ce couple fortuné… pourtant, Plutus* veille dans l’antre mercantile, toujours avide de ce vil métal qui dénature les attachements les plus respectables, et dont la conquête fait l’objet des convoitises de l’homme corrompu, afflige le moraliste et réduit au désespoir les âmes sensibles…

* nom latin de Ploutos, le dieu grec de la richesse et de l’abondance (cf. la ploutocratie)

1. Duo (Pouponne, Mistouflet)


POUPONNE :

Le financier qui m’abandonne me permet enfin de t’aimer, et croyant affliger Pouponne, la livre à la félicité !

POUPONNE, MISTOUFLET :

Et croyant affliger Pouponne, la livre à la félicité ! Profitons, profitons, profitons d’un heureux moment ! (BIS)

MISTOUFLET :

Trop longtemps la tristesse contrainte nous accabla sous son empire !
Bannissons à jamais la feinte, que rien ne gêne nos plaisirs…

POUPONNE, MISTOUFLET :

Bannissons à jamais la feinte, que rien ne gêne nos plaisirs ! Profitons, profitons, profitons d’un heureux moment ! (BIS)

POUPONNE (vivement) :

Cache-toi promptement, chevalier ; le temps se gâte, j’aperçois sur la place deux figures qui ne me disent rien de bon…

MISTOUFLET :

Quoi, ce paysan et cette paysanne qui examinent votre balcon en ouvrant la bouche d’une oreille à l’autre ?

POUPONNE :

Vite, vite… Fourre-toi derrière le paravent, ils arrivent tout droit d’Arpajon, je gage…

MISTOUFLET :

Je n’entends rien à cet imbroglio…

POUPONNE :

Ne te montre pas, surtout ! (à part) Il y a bien six mois que j’ai oublié de leur envoyer l’intérêt des 50 livres qu’ils m’ont avancées pour m’établir lingère à Paris… Allons, tiens ferme, Pouponne, n’oublie pas que tu es philosophe…

2. Trio (Pouponne, La Mère, Le Père, Mistouflet)

LA MÈRE :

Je sommes venue d’Arpajon dans la carriole à Lucas ; j’avons quitté nout’ canton dans l’but d’ravoir nos ducats !

LE PÈRE :

C’est-y donc là vos manières d’faire du tort à son vieux père ?

POUPONNE :

Mon père, ma mère, que vos discours sont fâcheux ! Mon père, ma mère, allez donc soigner vos bœufs !

LA MÈRE :

On jase de vous au pays, bien vilainement la belle ! On dit qu’les beaux messieurs d’Paris vous couvrent de fines dentelles…

LE PÈRE :

Et qu’ils vous bâillent pour un bécot, et d’quoi acheter une paire de viaux ?

POUPONNE :

Mon père, ma mère, ce propos-là me consterne ! Mon père, ma mère, allez faucher vos luzernes !

LA MÈRE :

J’va vous soigner à ma façon, d’une bonne giroflée ! Vous v’là nippée comme un goton, et ça fait la mijaurée !

LE PÈRE :

La mère, finis ton madrigal ! D’main j’la ferons mettre à l’hôpital !

MISTOUFLET :

Sortez d’ici manants, ou j’appelle la garde !

LA MÈRE :

Mon homme, tirons-nous d’là !

LE PÈRE :

La femme, sortons d’ici : il a une fière colichemarde

POUPONNE :

Mon père, ma mère, je suis bien votre servante ; mon père, ma mère, votre très humble servante.

3. Duo (Pouponne, Mistouflet)

POUPONNE, MISTOUFLET :

Des gêneurs le projet s’arrête, ranimons les feux d’un amour dont aucun mortel ne s’apprête à déranger le tendre cours ! Profitons, profitons, profitons d’un heureux moment ! (BIS)

NOTE : cette brève scène, qui reprenait la mélodie du premier duo, a été coupée dans l’émission de radio de 1955

4. Quatuor (Pouponne, Mistouflet, Le Bottier, Le Merlan)

MISTOUFLET :

Qu’est-ce là, Messieurs, et que signifie ce tapage ?

LE MERLAN* :
* coiffeur

Monsieur le chevalier, voici votre bottier !

LE BOTTIER :

Voici votre merlan !

LE MERLAN, LE BOTTIER :

Tous deux dévoués à vos ordres !

POUPONNE, MISTOUFLET :

On pourrait croire qu’ils vont nous mordre !

LE MERLAN, LE BOTTIER :

Vous nous devez cent pistoles, cent pistoles évidemment, depuis six mois sur ma parole !

POUPONNE, MISTOUFLET :

Mais qu’ont-ils donc ces pauvres gens ?

LE MERLAN :

Deux fois dix-huit pots de pommade, 99 sous de poudre…

LE BOTTIER :

Des mules pour la promenade, et quatre tiges à recoudre…

LE MERLAN :

Trente coiffures à la française, la barbe faite à Monsieur Blaise…

LE BOTTIER :

Un grand tire-bottes plus la rosette que Madam’ perdit à la fête…

LE MERLAN :

Et pour accommoder Monsieur, dix-huit frisures troussées au mieux…

LE BOTTIER :

Et j’ai noté un lacet neuf, plus douze sols de pâte à l’œuf !

LE MERLAN, LE BOTTIER :

Ce qui fait bien évidemment, cent pistoles sur ma parole !

POUPONNE, MISTOUFLET :

Mais qu’ont-ils donc ces pauvres gens ? Leurs têtes me paraissent folles, pour un si médiocre mémoire venir nous rompre les oreilles. Messieurs, vraiment je m’émerveille à tel point que je n’ose y croire !

LE MERLAN, LE BOTTIER (en même temps que Pouponne et Mistouflet) :

Oh ! Quoi ! Mais ! Qu’est-ce ! Ah ! Mais ! Oh ! Mais ! Oh ! Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.   Oh ! Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.  Oh ! Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.Oh ! Ah ! Oh ! Oh ! Ciel !

LE MERLAN, LE BOTTIER :

C’est peu de choses assurément, mais il nous faudrait quelque argent ! Ou nous irons fort à regret déposer plainte au Châtelet.

MISTOUFLET :

Laissez-moi ces broutilles et revenez demain, Messieurs, j’aurai de quoi vous satisfaire.

LE MERLAN :

Nous reviendrons dans un moment ; il nous faut parler à Madame.

LE BOTTIER :

Nos cœurs ne sont point taillés dans le marbre, et nous aurons peut-être un honnête arrangement à vous proposer.

5. Duo (Pouponne, Mistouflet)

MISTOUFLET :

Pouponne, c’en est fait, le sort nous est contraire ! Il faut prendre parti, il faut nous y résoudre.

POUPONNE, MISTOUFLET :

Il faut prendre parti, il faut nous y résoudre. Fuyons dans les déserts, n’attendons pas la foudre !

MISTOUFLET :

Me suivrais-tu jusqu’à Limours ?

POUPONNE :

Je te suivrais jusqu’à Limours.

MISTOUFLET :

J’y possède un château flanqué de quatre tours, où sous l’antique ogive, nous verrions luire Phœbé*,
occupés de nous seuls, de nous seuls enivrés.

* la Lune

POUPONNE, MISTOUFLET :

Occupés de nous seuls, de nous seuls enivrés. Ah ! Fuyons sans tarder, fuyons jusqu’à Limours !
Oui, laissons des cités le pernicieux séjour !

L’INSPECTEUR :

Il est trop tard, Monsieur le Chevalier ! Voici douze minutes que la diligence de Limours a quitté la rue des Postes…

MISTOUFLET :

Palsambleu ! Quelle insolence ! Qui vous a permis d’entrer en cet appartement ?

L’INSPECTEUR :

Souffrez que je me présente : Inspecteur Prunelle, dépêché auprès de vous par Monsieur le Lieutenant de Police.

MISTOUFLET :

Et qu’ai-je à faire avec la Police, s’il-vous-plaît ?

L’INSPECTEUR :

Vos parents, Monsieur le Chevalier, se plaignent fort au roi de vos extravagances, et je crains bien d’avoir, d’ici quelques jours, l’honneur de vous faire monter de grand matin dans une voiture de la lieutenance de Police, pour vous mener loger aux dépens de Sa Majesté, en son château de la Bastille Saint-Antoine…

POUPONNE :

Ciel, Mistouflet ! On te mettrait à la Bastille ?

MISTOUFLET :

À la Bastille, moi ! Monsieur l’Inspecteur, mais c’est atroce…

L’INSPECTEUR :

Non, c’est prudent. Vos plaisirs coûtent un peu trop cher à Monsieur votre Père.

Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.

6. Trio (Mistouflet, L’Inspecteur, Pouponne)

MISTOUFLET :

Tristes plaisirs, funestes réjouissances, appâts trompeurs, trop précieuse folie, coupes enchantées où s’égarent mes sens ! Vous dire adieu, Pouponne, c’est trancher ma vie.

L’INSPECTEUR :

Oui, le fatal décret, dicté par la famille, grave au cœur des amants une sombre fureur !
Mais, quand le roi l’a dit, logeant à la Bastille on s’étudie au frais à réformer ses mœurs.

POUPONNE :

Ah, barbare, tyran, tu te ris de mes peines ! Ce fer à ton côté, plonge-le dans mon sein !
Mets donc fin à mes jours, achève mon destin, et cesse d’insulter à ma douleur extrême.

MISTOUFLET :

Abominable loi d’une ingrate famille ! Que cet ordre m’enrage et me met en fureur !

L’INSPECTEUR (en même temps que Mistouflet) :

Mais en vain le décret du père de famille vous met, mes chers bijoux, dans la sombre fureur !

POUPONNE (en même temps que Mistouflet) :

Vous m’ôtez mon époux au nom de la famille. Que cet ordre m’enrage et me met en fureur !

POUPONNE, MISTOUFLET, L’INSPECTEUR :

Pourtant, le roi l’a dit : logeant à la Bastille on s’étudie au frais à réformer ses mœurs.

7. Dialogue parlé (Mistouflet, L’Inspecteur, Pouponne)

MISTOUFLET :

Juste ciel, les revoilà !

L’INSPECTEUR :

Voici me semble-t-il, un merlan et un bottier. Ils viennent de la part de milord Mac Sennet.

POUPONNE :

Il faut que je leur parle, Mistouflet. Je sens bien que si l’on me met à l’hôpital, j’en tomberai malade… Je vous laisse un moment.

L’INSPECTEUR :

Causons un peu, jeune homme.

MISTOUFLET :

Et moi, grand Dieu ! Quelle position ! Je me vois entre le Châtelet et la Bastille : comment traverser cet embarras ?

L’INSPECTEUR :

Cédez donc la mignonne à milord Mac Sennet, Monsieur le chevalier, cela arrangera tout.

MISTOUFLET :

Jamais !

L’INSPECTEUR :

Ô jeunesse, ô inconséquence ! Milord est fou des charmes de Pouponne ; il médite de la faire entrer à l’Opéra pour faire crever de jalousie ce grand cheval de Cléophile, qu’un prince moscovite lui a enlevée.

MISTOUFLET :

Pouponne à l’Opéra ! Jamais. Plutôt mourir !

L’INSPECTEUR :

Délire, balivernes… encore un mot : fariboles ! La petite ne pourra plus être mise à l’hôpital : elle sera pensionnaire du roi.

MISTOUFLET :

Et qui me paiera mes dettes, à moi ?

L’INSPECTEUR :

N’êtes-vous pas aimé ?

MISTOUFLET :

Follement !

L’INSPECTEUR :

Alors… mais voici Pouponne. Son air me paraît des plus rassérénés.

8. Forlane (Pouponne)

POUPONNE :

On me parle d’un gentilhomme aimable, riche, et me dit-on, très amoureux de ma personne, étranger mais de fort bon ton. Ceci vaut bien qu’on en raisonne, car il m’envoie, voyez, ma foi, des girandoles, des girandoles* : ceci vaut bien qu’on en raisonne. Je ne sais s’il a de l’esprit, cet article n’est point porté sur le billet qu’on m’a remis. Mais sa plume a des probités dont on peut rester attendrie, car il m’envoie, voyez, ma foi, trois milles pistoles, trois milles pistoles ! Ceci vaut bien qu’on en raisonne. Se faisant scrupule en causant de gâter la conversation, on le dit badin cependant. Je lui rendrai satisfaction, car ne troublant point son penchant, il n’aura de moi, sur ma foi, qu’un bonheur sans parole…
* assemblage de diamants ou d’autres pierres précieuses, qui servait à la parure des femmes, et qu’elles portaient à leurs oreilles.

9. Écossaise (L’Inspecteur, Le Merlan, Le Bottier)

L’INSPECTEUR :

Cet Écossais revient des îles : ceci le rend intéressant. Il pousse là-bas des diamants comme à Paris des imbéciles !
J’ai ouï dire que le soupirant périt de fièvre et de mal blanc.

Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.

LE MERLAN :

J’ai ouï dire que le soupirant périt de fièvre et de mal blanc, et vous serez bientôt tranquille !

LE BOTTIER (en même temps que Le Merlan) :

Cet Écossais revient des îles : ceci le rend très intéressant. Il pousse là-bas des diamants comme à Paris des imbéciles !

L’INSPECTEUR (en même temps que Le Merlan) : 

Et vous serez bientôt tranquille ! Cet Écossais revient des îles, et vous serez bientôt tranquille !

10. Menuet final (tous les sept)

POUPONNE :

Ah, que m’importe le Calédonien,
Bientôt de l’Opéra, je serai la déesse !
On m’y verra briller, dans l’éclat purpurin
D’une parure enchanteresse…
Et de Monsieur Rameau embellissant les airs…

Pourtant. Ensuite. Effectivement. Malgré tout. Donc. Ensuite. Cependant. Car. Donc. Mais. Cependant. En effet.Je ferai des aaaaaaaaah sur des modes divers ! La, la la la, la la la…

TOUS LES AUTRES (en même temps que les «la la» de Pouponne) :

Ah, quel aimable dénouement ! Ah, quelle heureuse catastrophe !

POUPONNE :

De Monsieur Piccini j’entonnerai les strophes, et de Monsieur Destouches les suaves psalmodies… Aaaaaaah…

TOUS LES AUTRES (en même temps que les «ah» de Pouponne) :

Ah ! Que la conclusion me touche ! Ah, quelle sublime tragédie !

POUPONNE :

Ah, ah, ah… La, la, la… Reine ou bergère, fille ou mère,
Vierge sacrée ou confidente austère,
Rivale ou amante adorée, noble, perfide ou sacrifiée :
N’en doutez pas, je serai sans pareille car j’ai la gorge faite ainsi qu’une merveille

TOUS LES AUTRES (en même temps que Pouponne) :

Ah, quel aimable dénouement ! Ah, quelle heureuse catastrophe !
La la la la la la la…
Ah ! Que la conclusion me touche ! Ah, quelle sublime tragédie !
Et nul n’ignore…

POUPONNE :

Et nul n’ignore…

TOUS LES AUTRES :

… que l’usage…

POUPONNE :

… veut qu’à Paris…

TOUS :

… tout le succès tienne dans le corsage !
Ah, quelle sublime conclusion !
Ah, quel aimable dénouement !

Denise Centore

tailleferre la fille d'opéra

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